Le regard dans la nuit

Le regard dans la nuit

Charme de la nuit

La nuit d’été a quitté le soir de son adolescence pour entrer dans sa maturité noire. Majestueuse et pleinement dans son rôle, elle étend son léger voile de nuages qui ne cache rien de la nudité de son ciel étoilé immense et infini. La pleine lune est à son zénith. Elle a le regard félin d’une fille amoureuse qui, entre un léger voile de nuée, fait mine de ne pas te voir alors qu’elle n’a d’œil que pour toi… L’air revivifiant, parfumé de subtiles senteurs des prés d’été parvenant à ma fenêtre telles des bras grands ouverts sont autant d’invitations à la rejoindre. Quelle beauté…! Bien plus sereine que le jour, la nuit contient et distille dans un doux babillage le rêve des humains qui déjà ont quitté la frénésie de leur monde compliqué pour un sommeil réparateur. 

 

Composant avec le silence de son univers intersidéral, le chant scandé des habitants des champs et des bois, elle ronronne une symphonie reposante, magique, hypnotique, pour mieux nous bercer dans ses bras.

La nuit me séduit par tant de mystères. N’étant pas insensible à ses avances, je m’en vais la rejoindre dans la profondeur de la forêt. Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est pas avec elle que j’ai rendez-vous, mais avec mon fils.

 

La tribu métal

En effet, mon garçon donne un concert au milieu des bois. Avec Seb, son pote guitariste, ils se produisent tout à l’heure à un festival métal (et stoner) qui se déroule dans ce lieu insolite. Je me réjouis d’être une fois de plus le témoin de leur progrès et performance artistique. Je pourrais revoir et fraterniser avec ses potes marginaux qui, à force, sont aussi devenus les miens. C’est toute une tribu d’habitués qui peuple ce genre d’événement. Ils sont en rupture avec la société qui n’a de cesse de nous conditionner, et sont en recherche d’autre chose. Je comprends tellement leur cri, et j’ai justement en moi “autre chose”.

 

Si je me réjouis du chemin qui mène à eux, c’est surtout en raison du trajet, car en effet, je n’y vais pas seul.

 

Je m’éclipse

Épuisée par la journée à venir, mon épouse a déjà glissé dans le sommeil de son lit douillet sans pouvoir lui résister. Je l’embrasse sur le front et tel le joyeux brigand sur un bon coup, je m’éclipse sur la pointe des pieds.

C’est bon de quitter les murs de ma maison usés par mes yeux trop habitués à ne plus les voir, pour rejoindre un endroit qui ne contient aucune paroi. Faisant tout à l’envers, je sors par la porte d’entrée et je disparais dans la nuit. 

 

Chemin de nuit

je m’y rends en voiture, car il me faut traverser plusieurs forêts reliées entre elles pour parvenir à ma destination. C’est excessivement lentement que je roule dans ces bois pour ne pas perturber l’atmosphère pénétrante de ces lieux et la fenêtre grande ouverte pour mieux m’en imprégner. L’air est doux. Habituellement, à cette heure, je suis déjà parti pour le pays fascinant des rêves. Bien qu’éveillé, une partie de moi doit y être tout de même. Mais je pencherais pour dire que c’est un effet que produit l’immensité de l’humble Personne qui m’accompagne.

 

Trajet béni

Dieu… ce trajet est avant tout l’occasion d’un moment privilégié avec Lui. Il a beau être un Ami invisible, il est bien plus concret et présent que ne saurait l’être aucun autre de mes amis visibles.

C’est pourquoi, mes voyages sont devenus bien souvent plus importants que leur destination.

 

Assis avec Lui au volant de la voiture, je réalise que toute la journée, j’ai attendu et désiré cet instant. Je ralentis pour que dure encore davantage l’instant… 

Sans en être conscient avant, j’avais besoin de lui déballer quelques sujets du quotidien aux apparences anodines. Au soulagement que je ressens une fois confié, je comprends que tous contenaient une dose nuancée de stress imperceptible emballée dans du “faut faire avec” que je n’avais pas pris la peine de déceler avant.

 

Paumé!

Aucun panneau n’indique le festival. (Ah ah! je reconnais bien là l’organisation à l’arrache de c’t’équipe! hum, oui bon… n’étant pas non plus le mec le plus attentif à ce genre de détail, j’ai dû passer les indications sans les voir…). A mesure que je m’enfonce sur des chemins datant de la préhistoire, j’ai comme un doute: me suis-je trompé de nuit ou simplement paumé?

J’éteins mon moteur pour mieux écouter ma destination… 

-Ah!!! là sur la gauche…de la musique! ouf! 

Plus je m’en approche, plus c’est distinct. Depuis un contre bas, je vois un îlot de lumière multicolore émanant d’un chalet situé dans un pré. J’en conclus que ça doit être l’endroit où je tente de me rendre. 

-Ah! du coup, je ne suis pas dans la bonne direction!
Le son se faufilant entre vallées et collines est trompeur, et me joue des tours. Au feeling et au son, j’emprunte un chemin étroit et accidenté au possible. Ce n’est que lorsque je croise des personnes qui en reviennent que je me sens enfin rassuré.

 

Concert

Mon fils et sa joie de me voir est une des premières personnes que je vois en arrivant au chalet. Je repère aussitôt sa sœur, ma petite chérie, avec son mari et la jeune épouse de mon garçon (ils se sont mariés il y a un mois). Je croise et salue, dans une exclamation de joie, mes potes et toutes ces têtes d’habitués que je reconnais sans pour autant les connaître, et à mesure que je m’approche de la scène, tous ses jeunes poilus au long cheveux (purée c’est dingue comme je les aime ces gamins!).

 

Au-delà du public

Super concert! Si le public est unanime d’admiration, personne ne voit mon fils aussi bien que moi. Ils ne peuvent apprécier que ce qu’ils se ramassent dans la face, alors que moi je le vois en profondeur. 

Je peux apprécier en superposé tous ses concerts précédents et même depuis celui de ses débuts. Il doit coïncider avec ses premiers pas, et c’était dans notre étroite cuisine, quand ce petit bout de chou tapait sur des casseroles pour notre plus grand bonheur. 

Puis, je revois ses yeux émerveillés d’enfant de 6 ans allumant les nôtres, lorsque nous lui avons acheté sa toute première batterie avec ce qui restait de nos économies. 

Je me rappelle quand, haut comme trois pommes, il m’accompagnait à l’église. Je jouais de la guitare et je m’inquiétais alors de savoir s’il parviendrait à tenir le rythme jusqu’au bout (dire que maintenant, lors de nos répètes Saahsal* c’est lui qui a repris ce souci à mon égard…). 

Je me rappelle de tout! Quand il avait le droit de veiller tard, afin de suivre nos concerts/répètes et qu’entre deux morceaux notre ancien batteur lui révélait ses secrets. 

Puis je nous revois avec toute la famille, éparpillés dans son public naissant, cachés dans la foule pour suivre le premier concert de son groupe qui répétait à la maison. 

Les compliments du public avaient beau leur être adressés, ils me faisaient plus plaisir que s’ils m’étaient directement adressés.

Et pour faire court, j’ai en coeur (qui marche mieux que ma tête) aussi quasi toutes les représentations qui ont suivi…  

Avec ma fille bras dessus bras dessous, ce soir comme les autres, nous dansons sans rien retenir notre joie d’être ensemble en cet endroit.

 

Après avoir chaleureusement embrassé tout le monde, je me suis doucement éclipsé pour glisser en bas des collines et atterrir blotti dans mon lit. Quels que soient les rêves que je vais rejoindre, je sais qu’ils auront peine à rivaliser avec ceux que je viens de vivre.

 

Le regard des papas

Suis-je objectif lorsque je parle de mon fils? probablement pas (j’avoue)… mais je le suis avec ce que je ressens. Car il est vrai que, si mon fils, (lui ou n’importe lequel de ses frère et soeurs), avait été handicapé moteur ou mental, incapable de telles prouesses artistiques, je n’en aurais pas été moins fier. Et si alors, tout ce qu’il était capable de faire n’était rien de plus qu’un collier de nouilles, je le porterais comme une parure. Car voilà… nous autres les papas nous sommes faits de ce bois.

– Pas vrai Papa/Dieu qui est dans les cieux? 

Toi encore plus qu’aucun d’entre nous. Tu es là à chacun de nos moments de vie importants. Et malgré que tu déploies des trésors de discrétion pour ne pas nous déranger, tu nous suis partout… Et caché dans le public, ton cœur pour tes enfants vibre des milliers de fois plus fort que le mien.

 

 

*Saahsal est le groupe où je joue avec mon épouse, mon fils Silas et 2 autres amis, saahsal.com

 

Pour écouter les compos de Silas:

https://silasauderset.bandcamp.com/releases

Mouche-miel (son groupe de math-métal-fromage):

https://mouche-miel.bandcamp.com

 

Groupe famille and co:

www.saahsal.com

 

Retrouvez ce genre de texte dans la collection Rendez-vous dans la forêt:

www.shop.auderset.com

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