Madame De Pussec 3/3

Suite de Madame De Pussec

Pour lire le texte précédent de cette histoire :  Partie 1     Partie 2

 

3/3

 

Ainsi, à la fin de chacun des cours de Madame De Pussec, je reste pour lui partager mes interrogations. Ça dure le temps pour elle de ranger ses affaires dans un vieux sac en cuir noir (typique chez les vieux profs), de descendre les escaliers, de parvenir à sa voiture et d’ouvrir sa vitre pour continuer la conversation alors que le moteur est déjà allumé (hein ?non, non, je ne cours pas derrière sa voiture pourquoi… ?).

A chaque fois, mes questions brûlantes trouvent de l’apaisement sans qu’il faille rien éluder ou renier. Ces moments avec elle, même s’ils sont chiffrés en minutes, sont devenus pour moi les plus importants de ma dernière année de scolarité. Son remplacement n’a duré que quelques mois, mais c’était pile au bon moment pour moi.

 

L’art de la rédaction

De toute ma scolarité, le seul cours qui remontait suffisamment ma moyenne pour que je n’aie pas à redoubler une fois de plus était celui de la rédaction (mais puisqu’on vous dit que le « dessin » c’est de la m… !). Apparemment, même bourrés de fautes d’orthobaffe, mes écrits ont un quelque chose de potable pour les profs. Madame De Pussec, à qui on a ensuite confié d’autres cours que la religion, le remarque tout de suite. Elle me donne deux trois règles (ou trucs) pour rendre mes écrits plus intéressants. Sur le moment je trouve ça cool, mais sans plus. Car avec mon statut de cancre confirmé, je ne vois pas trop à quoi ça pourra me servir dans la vie… En effet, désespérée face à mes pitreries une prof m’avait dit que je n’arriverais jamais à rien dans ma vie.

 

J’ai 45 ans lorsque je m’extirpe de cette malédiction en sortant mon premier livre qui n’est cette fois pas une BD! : « Rendez-vous dans la forêt ». Pour lui comme pour vous maintenant, j’applique encore consciencieusement les conseils reçus par madame De Pussec, ça aussi c’est de l’or en barre… !

 

Les personnes de valeur

Arrivé à ce stade de cette anecdote, j’aurais tellement voulu vous écrire qu’à la différence du reste de ma classe, j’ai été respectueux et que j’ai pris la défense de la remplaçante…. mais il n’en est rien.

J’y ai pensé, mais je manquais de courage et de maturité pour m’opposer à mes petits camarades. J’étais un petit con centré (en deux mots cette fois) sur lui comme les autres. Okay avec une quête spirituelle, mais cette dernière ne m’avait pas encore assez transformé pour faire la différence.

 

Malgré l’impopularité de ses cours, Madame De Pussec a continué de les donner avec intégrité en tenant bon sur le ring de la classe, sans jamais craquer. Mais j’imagine qu’une fois seule chez elle, ça devait être dur pour l’estime de soi. Je ne peux croire que son maigre salaire était sa réelle motivation. Mais s’il est vrai qu’elle ne jouissait pas de notoriété dans notre monde aux glorioles éphémères, elle devait néanmoins en avoir auprès des autorités célestes. Je pense que ce sont elles qui l’avaient envoyée en mission commandée dans mon petit patelin. Et ça, elle allait bientôt le savoir…

 

Au revoir Madame De Pussec

J’ai quitté l’école sans me retourner, sans prendre le temps de dire au revoir à mon enfance passée en ces lieux (j’ai déjà donné!). Je me suis immédiatement impliqué dans la vie active comme livreur dans le commerce de mes parents.

Comme il me reste encore une ou l’autre question, voilà qu’un jour je fouille un bottin de téléphone et déniche l’adresse de madame De Pussec. Elle habite en ville de Bienne. Son appartement est encaissé sous plusieurs étages d’immeuble ; sa porte d’entrée mal rangée dans un corridor assombri par une lampe manquante. Il reste encore suffisamment de lumière ambiante pour distinguer son nom sur une étiquette. Je sonne à sa porte pour jouir d’un dernier et bref éclairage biblique.

En partant, je lui dis que je vais un jour devenir un dessinateur de BD. Elle s’en réjouit et aussitôt me donne quelques recommandations qui n’ont bien sûr pas adhéré à mes souvenirs (déformation pré-professionnelle). C’est alors que je lui ai dit :

– Merci pour vos cours, madame De Pussec…

 

Remercier un prof !? Ces geôliers d’enfance qui m’ont privé de la forêt, m’ont contraint à intégrer leur société morne, cette machine rouillée, ce système corrompu, remercier ces…ces… !?! C’est contraire à mes habitudes de sympathiser avec l’ennemi. Ça m’a laissé un goût dans la bouche d’autant plus étrange que ma reconnaissance est sincère.

 

Sa porte se referme derrière moi, telle la véritable conclusion à mon cursus d’école obligatoire chaotique. C’était la dernière fois que je voyais madame De Pussec. J’ai appris plus tard que son grand âge avait eu raison d’elle, mais le pincement qui m’a alors étreint le cœur m’en a appris bien plus encore.

 

Une lampe manquante assombrit le lieu où elle devrait être.

 

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